Djendäl SOLO

Une pluie rageuse plombait les arbres de la forêt avec acharnement, dans un fracas assourdissant. Le ciel, par conséquent était sombre, gris foncé-métallique, disposé à déverser son torrent encore pendant plusieurs heures, au grand désarroi de Djendäl. Le jeune lycan s'était mit à l'abri, depuis environ une heure et demie, dans une cabane en vieux bois, désertée récemment par les hommes qui l'habitaient. La main posée sur le menton, il s'ennuyait ferme. De plus, la faim commençait à devenir difficile à supporter ; seulement, aucun humain ne sortait par ce temps... chasser serait donc une perte de temps absolue. Alors quoi ? Que pouvait-il faire, mis à part le fait d'écouter d'une oreille lasse le bruit de la pluie torrentielle et du vent qui s'abattait sur la cabane, si fort, que le garçon avait l'impression qu'elle allait succomber d'un instant à l'autre ; les vitres sales et poussiéreuses vibraient violemment, le forçant à réviser plusieurs fois, la fiabilité de cet endroit.
Il bailla d'ennui. Une journée de perdue : il avait prévu de s'entraîner à exercer ses sens au maximum, afin de repérer les aura vampires, lycans, ou même humaines, pour juger desquelles il devait se méfier, ou non. Il souhaitait également s'entrainer au corps à corps, domaine où il était un peu hésitant ; il n'a jamais été entrainé à se battre de la sorte, ni à se battre du tout. Pour lui, l'instinct était sa meilleure arme, mais cela n'était plus suffisant, maintenant qu'il était plongé dans un monde comme celui-ci. Monde dont il y a quelques semaines, il ne soupçonnait même pas l'existence, et dont il ignorait les trois quarts. Il se sentait affreusement vulnérable. Comme un homme nu et couvert de sang au milieu d'une eau trouble et remplie de requins, pour le moment, simplement endormis. Il refusait cependant de repartir en Sibérie, ou en Allemagne. Ce monde étrange, peuplé de créatures légendaires était le sien, et il y avait sa place. Seulement, encore fallait-il la maintenir, cette place...
Un coup de vent se fit plus violent que les précédents, fracturant la fenêtre de sa droite. Djendäl eut un mouvement de recul ; la fissure était profonde et pouvait se briser à tout moment, autant s'en éloigner avant de risquer de se crever un œil. A peine s'était-il reculé suffisamment, que la vitre explosa dans un sifflement strident et furieux, comme si toute la haine des éléments, jusqu'à maintenant contenue, venaient de se libérer de ses chaines. Le garçon grogna : l'un des morceau fut propulsé vers lui, éraflant la main qui protégeait ses yeux verts. Ses cheveux flottaient derrière lui, si vite, qu'ils étaient difficile de les voir à l'œil humain. Il jugea immédiatement que cet endroit ne pouvait l'abriter davantage. Aussi, décida-t-il de partir.
Il fila à travers la végétation, en forme lycanne, à contrevent, les oreilles rabattues en arrière. Ses pattes puissantes s'enfonçaient dans la terre humide, rendant le voyage compromettant. Malgré la chaude température de l'extérieur, l'eau de pluie se révélait glacée. Heureusement que sa température corporelle lui permettait de supporter le froid (s'il avait pu résister en Sibérie avec la neige, il réussirait bien évidement à survivre à une douche froide). Les yeux mi-clos, il chercha un autre endroit où s'arrêter, quand il repéra une odeur. Cette odeur, il la connaissait bien ; c'était celle de la chair. Il s'arrêta sur un rocher, brûlant d'une excitation nouvelle, la patte légèrement levée, et la truffe humant l'air ; avec la pluie, les odeurs disparaissaient rapidement, aussi, fallait-il agir vite. Il se concentra, et détecta les dites-odeurs : deux hommes à environ trois cent mètres de là, au Nord. Ravi, il se mit immédiatement en chasse, sa faim retrouvée. Même la pluie ne pouvait le freiner, et il finit par l'ignorer. Elle pouvait cependant tourner à son avantage : les hommes ne le verraient pas arriver. Il n'aurait qu'à se cacher, puis attendre le bon moment. Depuis sa transformation, le lycan présentait un certain talent pour la chasse ; aucune proie ne lui échappait. Quand il choisit son repas, ce dernier finit toujours dans son ventre. C'était sa fierté, ce talent.
Il repéra les deux hommes. L'un était un adulte, et l'autre un peu plus jeune, environ dix sept ans. Il se lécha les babines, et rampa dans les buissons touffus, en prenant soin de dissimuler son pelage sombre ; le père – sans doute – était armé d'un fusil, et le lycan n'avait aucune envie de se faire trouer la peau...

- Bon sang, ronchonna le chasseur, où est-ce que tu as foutu ces pièges, sombre abruti...
Des pièges ? Pensa Djendäl, j'espère qu'ils se disperseront pour les chercher, cela rendra le jeu plus facile. Sa proie était choisie : le jeune homme. Et il n'allait pas lui échapper. Mais pour le moment, il suivait la scène avec intérêt, les sens en alerte.

- C'est à dire que... fit l'autre, gêné, je ne sais plus. Il pleut et on y voit rien, on devrait rentrer, et remettre les recherches à plus tard, tu ne penses pas ?

Pour toute réponse, il se fit foudroyer du regard par son aîné. Tous les deux continuèrent en avançant péniblement. Djendäl rampait lentement dans les herbes, le ventre et le poitrail trempés de boue froide. Cette sensation n'avait rien d'agréable, mais l'excitation compensait largement. La pluie continuait de battre, mais il s'en foutait... tant qu'il gardait sa cible dans à portée d'yeux, il ne s'en plaignait pas. Soudain, son attention fut poussée à l'extrême :

- Bon, va à droite, bougonna l'adulte au fusil, je te laisse cinq minutes pour retrouver ces satanés pièges.

Le jeune homme soupira, excédé, comme si cette tache allait le tuer. Puis, il partit par la direction désignée par son aîné. Djendäl le suivit, tout en guettant du coin de l'œil l'arme de l'autre homme, jusqu'à ce que celui-ci eut disparut de son champs de vision.
Son cœur battait très fort. Il banda ses muscles, prêt à lui sauter à la gorge. Son excitation monta d'un cran, et déjà, il sentait déjà le goût de la chair succulente et juteuse dans sa gueule. Son ventre gargouilla de nouveau. Il s'approcha un peu plus de sa proie, qui jetait désespérément des regards au sol. Ses cheveux trempés collaient à son beau visage et dans son dos. Il devait avoir froid, car il frottait ses bras l'un sur l'autre. Bientôt, il serait froid. Mais froid comme un cadavre. Sa victime regarda dans la direction opposée. Djendäl n'attendit pas deux fois. Il sortit immédiatement de sa cachète, tous crocs découverts, et mordit en plein dans la nuque du garçon, qui cria de douleur et de surprise. Du sang rouge gicla sur les feuilles vertes, suivit d'un hurlement rauque, puis d'un bruit d'os brisé : la nuque avait été broyée sous le poids des crocs étincelantes du lycan, qui emportait à présent son repas, la mine triomphante.
Mais un coup de fusil retenti non loin, faisant tressaillir Djendäl, qui se retourna, la queue entre les jambes. Arf... Un cri rageur se fit entendre.

- Maudit lycan ! Rends moi mon fils ! Hurla l'adulte en courant vers lui, écumant.

Le loup se mit à courir très vite, son repas pendant mollement dans sa gueule, et parfois, heurtait le sol. Soudain, il y eut un autre coup de feu, puis une douleur vive irradia l'épaule du jeune prédateur, qui grimaça, en grognant furieusement. Il jeta le corps sans vie à terre, et vit volte-face. La seule chose qu'il vit, c'était le rictus de terreur du chasseur, avant que celui-ci ne rendit l'âme, un unique coup de crocs dans la gorge. Il regarda son œuvre, la patte levée, invalide, le souffle court. Que devait-il faire ? Cacher le corps du chasseur et emporter l'autre, comme prévu ? Oui, c'était la meilleure solution. Mais creuser un trou pour l'enterrer lui prendrait un certain temps, à cause de son épaule. Et s'il laissait le corps ici ? Non... Quoique...
Puis, il eut une idée. Il s'empara du corps du chasseur, et fonça aussi vite qu'il le pouvait, l'autre corps de sa proie sur le dos. Chaque mouvements étaient une torture, et un mal de crâne s'installait progressivement à chacune de ses respirations. Arrivé à destination, il jeta le corps trempé de son agresseur à l'intérieur, puis s'enfuit vers la forêt profonde pour déguster son met, pensif. Jamais il ne s'était fait blesser de sa vie... ça faisait mal, très mal. Mais il sentait quelque chose se débattre en lui. La chaleur de son corps brûlait plus que jamais, cependant, pas de manière désagréable. Son être se battait pour régénérer sa blessure, il le sentait. Effaré, mais fasciné, il se demanda comment cela était possible... Une particularité propre à sa race, peut être ? Il n'en savait rien. Toujours est-il qu'il s'était fait blesser... Un coup, qui aurait pu lui être fatal, s'il le chasseur l'avait eut en plein cœur.
Il réprimanda un frisson. Heureusement que les choses s'étaient finalement bien déroulées... Pour cette fois, mais c'était clair qu'il manquait d'entrainement. A cause de la pluie, il n'avait pas pu s'entrainer aujourd'hui... Pluie qui, d'ailleurs, avait cessé de tomber.